Le polar est à la littérature ce que le rock'n roll est à la musique, ce n'est pas seulement un genre, c'est un état d'esprit.

jeudi 12 janvier 2012

F*ck them all ou la pensée suttérienne

J’ai toujours admiré les gens qui sortaient des standards imposés, des gens talentueux qui s’imposaient dans des genres dans lesquels on ne les attendait pas, des gens décalés obligés de flirter avec le « beau linge » mais qui ne craignaient pas  de postillonner sur les beaux costards de ces derniers.

C’était le cas de feu Cizia Zykë, l’auteur-aventurier avec sa pépite d’or autour du cou, son holster et son langage de baroudeur, que j’aurais tant voulu rencontrer. Ce fut le cas de Morrison à l’époque, comme de tant d’autres rockers…et plus récemment, c’est le cas de mon mentor, le scénariste, réalisateur, acteur, producteur, et +, Kurt Sutter.

Pour ceux qui ne le connaissent pas, Sutter a fait ses armes sur la série The Shields en tant que assistant-scénariste. Il y faisait aussi quelques petites apparitions –très remarquées- en tant qu’acteur. Au fil des saisons, il est passé derrière la caméra pour s’imposer comme directeur et producteur.

La série terminée, il a vécu un temps parmi une bande de motards californiens pour trouver la matière à créer une série. Une série sur une bande de motards déjantés, vraiment ? Pari tenu…Sons of Anarchy est né. Une vraie bombe : acteurs talentueux, scénario tarabiscoté à souhait, dialogues flinguants,  intrigues à la romaine et twists à la Shakespeare…tout y est.

Ce que j’admire le plus chez Sutter, outre le fait qu’il ait réveillé la rebelle en moi et m’ait montré –ou rappelé- qu’on doit aller au fond de ses envies, de ses rêves, de ses passions, et tant pis si ça nous fait dériver du joli petit chemin sur laquelle on traînait notre peinarde de vie, c’est que ce n’est pas seulement son travail qui inspire, mais également sa personnalité.

Je pourrais discourir des heures sur les raisons de mon respect pour lui, mais je préfère vous laisser vous faire une idée du bonhomme en vous traduisant le dernier message posté sur son blog, Sutterink :

« Il semblerait que Sons of Anarchy (sa série) continue de satisfaire et de frustrer les critiques, les bloggers et les gars qui n’ont pas baisé depuis 1911. Comme vous pouvez l’imaginer, cette réalité me 
plaît et me frustre également. A maintes reprises, les critiques se plaignent que Sons of Anarchy flirte avec la grandeur, sans jamais l’atteindre. Qu'elle suit le chemin de la perfection mais déraille toujours. Peut-être. D’une certaine manière, j’imagine qu’il « parallèle » son créateur. Je suis un type semi-intelligent avec une tendance pour l’absurde, mais je suis loin d’être brillant. Mais, en mettant de côté l’autodérision, je pense que le problème vient du manque de compréhension du show, de ce qu’il est vraiment. Et je ne prétends pas que les critiques sont stupides. Certains le sont. La plupart non. Mais beaucoup de critiques semblent ne pas comprendre ce que j’essaie de faire saison après saison. C’est comme aller à un blockbuster d’été et être déçu parce qu’il n’est pas aussi complexe que Le Parrain.

Certains critiques saisissent. Ken Tucker, Matt Zoller Seitz.  Sepinwall et les autres continuent de se taper la tête contre le mur, en se pourvoyant dans des dédales d’analyses reservées à des shows tels que celui de David Simon. Nous ne sommes pas "The Wire", nous n’essayons pas de l’être.  Pour info, "SOA" est un feuilleton adréaliné, c’est un genre de pulp fiction avec des personnages extrêmement complexes. Souvent, je pense que la profondeur des personnages, l’émotion de l’écriture et les incroyables performances, c’est ce qui perturbe les critiques. Ces qualités positionnent la série à un niveau égal à d’autres grandes séries dramatiques. Mais ensuite j’arrive et je coupe les boules d’un clown ou d’une manière absurde je fais chavirer l’intrigue, je retourne complètement la situation, et je vais certainement aussi faire péter un ou deux trucs au passage…Ce sont ces choses qui rendent dingues les critiques. Pourquoi ne puis-je pas suivre la ligne amorcée ? Etre ce qu’ils veulent que je sois…mesuré et prévisible.

Donc pourquoi ne fais-je pas ça? Pourquoi persister autant dans le « pulp ».  Peut-être que cette backstory vous éclairera: quand John Landgraf voulait s’engager avec Sons of Anachy, il est allé voir son patron, Peter Chernin, et lui a dit qu’il allait nous donner le feu vert pour la série. Chernin lui a dit qu’il faisait une erreur. Personne ne regarderait une série sur une bande de motards déjantés. Il pensait que c’était un monde sale et désagréable. Mais Landgraf espérait que l’approche technique d’Hamlet de mon pitch serait peut-être capable d’éviter la laide réalité et introduire l’attraction thématique de la subculture. Oui, le monde des motards peut être noir et brutal. Il n’a pas le glamour de la mafia ou le sway urbain des gangs de rue. Chernin avait raison, un drame basique, peu importe la manière dont il aurait été fait, n’aurait pas duré plus d’une saison. Je savais instinctivement, comme John Landgraf, que l’humour noir et l’approche « pulp » de l’intrigue serait le meilleur moyen d’ouvrir ce monde au téléspectateur. Que pour balancer le danger et la brutalité de ce monde, la série avait besoin d'être, j’ose le dire, divertissante. La vérité est que j’ai un égo relativement en forme. Je n’ai aucune envie de diriger une série qu’une poignée de centaines de milliers de gens regarderait. J’irais faire du théâtre si je voulais une audience de cette envergure. Mon challenge, en tant que dirigeant de série, saison après saison, est de contrebalancer l’art et le commerce. Comment est-ce que je garde le show riche, complexe et authentique tout en divertissant les gens ? Ça paraît simple, mais ça ne l’est pas. Faites-moi confiance, ce serait bien plus facile d’écrire un simple drame qui plairait aux critiques. Ceux-ci sont simples. Mais je n’écris pas la série pour convaincre les gens ô combien je suis brillant. Je l’écris pour exciter, secouer et captiver une audience.  Et je ne peux qu’espérer que mon talent en tant qu’artiste et producteur s’en ressente.

Bien sûr, ce n'est pas toujours le cas. Quand je regarde les nominés des WGA Award ce matin, je réalise que la chose qui frustre les critiques, c’est probablement la même chose qui nous tient à un doigt des Awards. Avec confidence, je pose la qualité de notre écriture, du jeu des acteurs et de la direction contre n’importe quelle autre série. Mais, le « pulp », la nature divertissante de Sons nous tiendra toujours quelques barres d’échelle en dessous des choix évidents. Ou peut-être qu’en réalité on craint et que je délire. C’est possible aussi.

Quoiqu’il en soit, je vais continuer à écrire le show de la manière que je l’ai toujours fait en espérant que l’audience continuera à se manifester. Et les critiques continueront à se lamenter sur l’imperfection du show et la frustration qu’il suscite et ils continueront tout de même à le regarder et à écrire sur lui, semaine après semaine, après semaine, après semaine…c’est presque comme s’ils y prenaient plaisir finalement.

J’avais pensé introduire ce post en les appelant tous : « connards finis », mais c’est peut-être un peu sévère.
Semi-connards, alors"


2 commentaires:

  1. Tout est dit ! Kurt is the man !

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  2. "outre le fait qu’il ait réveillé la rebelle en moi et m’ait montré –ou rappelé- qu’on doit aller au fond de ses envies, de ses rêves, de ses passions, et tant pis si ça nous fait dériver du joli petit chemin sur laquelle on traînait notre peinarde de vie,"

    Joliment dit... chemin à suivre !

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